Joli texte à partager : Conversation père-fils

Conversation père-fils (texte de Louis-Simon Ferland)

Confortablement installé devant l’écran, mon bébé entre les bras, j’observe un match de football qui peine à maintenir mon intérêt. L’après-midi coule doucement tandis que le feu nous chatouille le regard. Tranquillement, les couleurs s’effacent, mes yeux s’embrument, le match devient flou…
- Papa! Papa? Est-ce que tu fais dodo?
- Mmzzmm? Non, non, je… je réfléchis en regardant mes paupières…
- Ah bon!
- Mais... mais bon Dieu!… Élie, tu parles? Tu n’as même pas six mois!
- En fait, je ne parle pas tout à fait. Mais moi aussi je fais dodo. C’est pour ça qu’on peut s’entendre, je pense.
- C’est formidable!
- En effet, c’est prodigieux!
- Et tu parles bien en plus! Où vas-tu chercher tous ces mots?
- Dans ta tête, papa.
- Ah oui, c’est vrai!
- Je voulais savoir… est-ce que tu aimes toujours ça être papa? Est-ce que c’est comme tu pensais?
- En fait, je ne m’attendais à rien du tout. J’avais juste hâte. Et depuis que tu es né, il ne se passe pas une journée sans que j’aie le goût de hurler de joie en te voyant. J’aime être ton papa, j’aime quand tu me regardes en riant, quand tu babilles, quand tu t’endors sur moi…
- Même la nuit quand j’ai soif et que je crie, tu aimes ça? Tu sais, quand tu viens me donner à boire les yeux tout-petits et que tu te cognes le pied sur le cadre de porte, ça ne te dérange pas?
- Tu vois, Élie, ça me permet de découvrir une autre joie dans ma vie: celle de retourner me coucher, 15 minutes plus tard. Un véritable bonheur!
- Moi je trouve que tu es un bon papa. Je veux dire, tu es le seul que je connaisse, mais tu es pas mal du tout. Sauf…
- Quoi? Dis-le franchement.
- Bien, disons que tu chantes moins bien que maman et le matin, quand tu me parles de proche, ton haleine est bizarre.
- Ah! Je pensais que tu étais trop jeune pour le remarquer.
- Dis-moi papa, est-ce que maman elle aime ça m’avoir comme bébé?
- Ta mère, petit, est fascinante. Elle t’aime plus que sa propre chair et donnerait tout pour toi. Je vais te faire une confidence, jamais je n’aurais cru qu’elle ferait une si bonne maman.
- Ah? Elle faisait autre chose avant? À quoi elle servait maman avant que j’arrive?
- Des fois je me le demande! Ha, ha, ha! Excuse-moi, c’est une blague de grand.
- Moi, j’ai hâte d’être grand.
- Ne sois pas pressé, fiston. La vie des grands file tellement vite qu’on oublie d’apprécier chaque instant. Tu vois, moi aussi y’a des jours où j’ai hâte que tu courres, que tu chantes, que tu lances des ballons… Puis, je me dis que ce jour-là, je ne te donnerai plus de biberons la nuit, je ne pourrai plus passer l’aspirateur avec toi dans le porte-bébé et surtout, je ne pourrai plus dire n’importe quoi en ta présence. Chaque moment est précieux.
- D’accord papa. Alors tantôt, quand je vais avoir faim, je vais pleurer juste pour toi. Pour que tu profites bien de ce moment… hi, hi!
- Tu apprends vite l’ironie, petit crapaud. Mais attends au moins la fin du match.
- Justement, tu serais mieux de te réveiller, parce que ton équipe va faire un touché.
- Tu sais, j’ai hâte qu’on ait cette discussion-là pour vrai.
- Oh! Mes questions risquent d’être pas mal moins sérieuses que ça. J’ai plutôt hâte de te demander pourquoi on attrape le hoquet ou pourquoi la colle, ça colle.
- Ouf! Tu me laisses quelques années pour inventer quelque chose?
- Bien sûr.
- Je t’aime, Élie.
- Moi aussi, je t’aime papa.
Mes paupières remuent, le salon sort de la brume et Élie dort toujours. Le feu a baissé. À la télé, les joueurs s’ébrouent, s’agitent et se frappent; la fin du match s’annonce excitante. Pourtant, mes yeux restent fixés sur la petite tête collée contre moi. Pourvu que l’éternité ressemble à ça…